On pouvait s’attendre au pire..La bande annonce nous invitait à un énième « film de monstre » qui semblait naviguer entre le pur objet marketing à la Cloverfield et le film opportuniste copiant l’excellent Disctrict 9. Mais voilà, il s’agit en fait d’un film indépendant et fauché, dont le réalisateur assure aussi le scénario, la direction photo et les effets spéciaux, et qui pouvait se prévaloir d’un bouche à oreille très positif dans les différents festivals qu’il a écumé. Et pour cause…
Nous ne sommes même pas aux Etats-Unis mais au Mexique où un photographe est chargé par un magnat de la presse de ramener sa fille en lieu sur. Il faut dire qu’une large bande de territoire à cheval sur les USA et le Mexique est devenue interdite après avoir été colonisée par des aliens qui prennent le forme de pieuvres géantes souvent mal intentionnées. Le trajet est chaotique, long, et surtout particulièrement dangereux, car les armées mexicaines et américaines bombardent inlassablement les zones infectées qu'ils doivent traverser.
Le réalisateur Gareth Edwards impressionne dès la séquence d'ouverture, puis tout le long de son premier film, autant par son ambition de départ que dans sa réussite visuelle et narrative. Le choix est clair de ne pas montrer grand-chose de ces monstres : on les voit clairement plusieurs fois, mais le temps de présence à l’écran est relativement faible. Ce qui pourrait être perçu comme une contrainte de budget, mais avec plus de moyens, Gareth Edwards aurait-il davantage montré ses monstres ? Pas sûr.
Car ce qui l’intéresse, c’est tout le reste : les populations, le décor (successions de magnifiques plans d’Amérique Centrale, autant urbains que naturels), les personnages, cette errance dans le but de rejoindre une zone sûre. Le film raconte un voyage vers une terre de sécurité, au gré des rencontres, des étapes et des différents obstacles. Ce qui commence comme un voyage organisé se transforme peu à peu en errance, de zones urbanisées et très peuplées jusqu’à des déserts abandonnés.
Et le réalisateur fait preuve dans chacun de ces moments d’une maitrise assez bluffante. Que ce soit pour croquer une soirée un peu trop arrosée, la traversée d’une banlieue pauvre, une attaque violente ou encore une remontée de rivière dans la jungle, Gareth Edwards a vraiment l’œil et la cadre pour réaliser des plans magnifiques, et les intégrer au service de son histoire, le tout dans une ambiance de guerre à la fois proche et lointaine vraiment réaliste. Ces camps de réfugiés, ces bombardiers qui passent sans fin dans le ciel et ces carcasses de tank font évidemment écho à des scènes « réelles » que l’on a tous pou voir dans notre télé.
Mais la réussite du film est aussi narrative. Si le film peut paraître parfois un peu lent, vague et flottant, c’est que tout n’est pas dit, les personnages sont cernés au fil du film, et de manière fine et suggérée, sans ce besoin maladif de tout expliquer, de tout rendre clair comme de l’eau de roche. On est parfois plus dans le drame familial ou le film de rencontre que dans l’épouvante. Edwards ose même la tragédie amoureuse, le sentiment voire la poésie sur la fin, et choisit de privilégier les relations personnelles plutôt que de forcer le trait sur l’habituelle métaphore politique des films de monstres. Cette partie poétique et sentimentale pourra laisser un peu de monde sur le carreau, mais il faut reconnaître au réalisateur la cohérence et même le culot d’aller jusqu’au bout de son idée avec une séquence onirique en miroir avec deux pieuvres dans un ciel d’orage.
Sans non plus atteindre les sommets que District 9 avait balayé l’an dernier, Monsters est une nouvelle preuve, quoique plus personne n’est à convaincre, que le regard et le talent d’un réalisateur remplacent tous les budgets du monde, même pour un film de science-fiction.