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16 octobre 2013 3 16 /10 /octobre /2013 07:15
Prisoners

 

Le Nord des Etats-Unis, on ne sait trop où. Du gris, beaucoup de gris, dans cette petite ville tranquille qui n'a pas été épargnée par la crise. Un soir de Thanksgiving, deux petites filles disparaissent. Un suspect est arrêté, mais vite relâché faute de preuves, alors qu'un des deux pères est certain de sa culpabilité. La tension monte...

 

Pour son arrivée au Etats-Unis après plusieurs films très remarqués (dont le formidable "Incendies"), le cinéaste québecquois Denis Villeneuve n'a pas choisi la facilité, en se récupérant un script qui traînait depuis plusieurs années à Hollywood, mais qui semblait faire peur à beaucoup de monde. Et pour cause, tout semble éminemment casse-gueule dans ce projet : des thèmes lourds, un scénario plus tortueux que prévu, des questions morales qui pèsent des tonnes, une intrigue longue (2h20), et même un casting à la limite du contre emploi avec Hugh "Wolverine" Jackman dans un rôle sombre, violent et torturé.

 

Et pourtant, "Prisoners" a presque l'étoffe d'un classique. D'abord grâce aux méandres du script, qui nous laisse croire souvent à une fin, à un retournement, à une conclusion, avant d'embrayer une fois encore vers une autre direction, comme si l'on voulait perdre tout certitude. C'est la première grande qualité du film : surprendre, déconcerter, faire durer avec patience infinie une intrigue dont le cœur est l'attente et la peur. Et si la violence ou l'angoisse sont parfois insoutenables, ce n'est pas gratuit ou voyeur, et les questions morales ne sont jamais loin.

 

Ensuite, grâce à une qualité artistique vraiment remarquable pour le premier film hollywoodien, en particulier avec un travail poussé sur les lumières. Le gris d'abord, la nuit ensuite, les bougies, pour finir sur un blanc aveuglant quand la neige arrive. Et quand un flic pourchasse un suspect le soir à la lumière des lampadaires entre les chiens qui aboient, on a presque basculé dans le fantastique.

 

De film de faits divers douloureux, Prisoners avance donc peu à peu dans le polar sombre et poisseux, dans un film d'une noirceur incroyable, qui casse l'espoir et voit ces personnages tomber les uns après les autres., les deux derniers seront le père et le flic.

 

Meurtri, révolté, en proie à des pulsions, le père se fourvoie peu à peu, s'accroche à ses certitudes, bascule dans la folie. Hugh Jackman, loin de ses acrobaties mutantes, est absolument remarquable de colère et de dignité. En face de lui, un flic solitaire, jeune et obstiné, face au désespoir qui grandit au fur et à mesure que les jours passent sans résultat. Loin des clichés du genre, Jake Gylenhall compose un étrange détective froid et précis, à contre-emploi total de son rôle dans "Zodiac", auquel on pense évidemment.  A un moment du film, quand tout espoir semble être perdu, ils se croisent dans une voiture, sous la pluie. Le père hurle sa colère, le flic suspecte et questionne, ils sont tous les deux seuls au monde avec leur désespoir.

 

On a parlé de Fincher, on a aussi parlé d'Eastwood et de Mystic River pour évoquer les grands classiques américains auxquels ce raccroche cet étonnant film. Ce sont peut-être les plus beaux compliments à faire à un Denis Villeneuve qui a réussi un vrai tour de force, et qui devrait s'installer pour quelques temps dans le paysage au vu du joli petit succès du film sur les écrans américains, en attendant les oscars pour lesquels il pourra se placer en outsider. (aux côtés de "Rush", pour contrer le triste "Majordome)

 

En conservant son style et ses thèmes, en ne cédant pas à la facilité, le réalisateur a parfaitement réussi sa transition, et pourrait donner quelques tuyaux à ses collègues européens qui se sont noyés dès leur premier essai (rappelez vous l'effrayant Tourist). Qu'un film aussi long, difficile et exigeant trouve son public est en tout cas une excellente nouvelle...

 

 

 

 

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