Les kidnappings sont probablement les sujets les plus chauds qui sont traités par l’actualité. Pas de ceux qui ont le plus de répercussion sur le cours de l’histoire, mais ceux qui touchent le plus car ils font se croiser la liberté, la violence, l’argent, la mort, la famille, que ce soir un riche héritier, un journaliste ou un politique. Et à chaque fois, c’est ce qu’il se passe à l’extérieur qui en dit long, plus que ce qui se passe à l’intérieur.
Stanilsas Graff est un des plus fameux capitaines d’industrie français. Il déjeune avec des ministres, entretient un certain nombre de maitresses qu’il honore dans sa garçonnière chic, et perd des sommes folles au poker avant de rentrer chez lui tard pour embrasser son épouse et ses deux filles modèles. Mais un jour, un commando l’enlève en plein Paris et réclame une rançon considérable. Tout le monde politique, économique et médiatique est sous le choc, pendant que Stanislas croupit dans une grotte.
On aurait pu s’attendre à une charge violente et diabolisante contre les ravages du vilain capitalisme, la révolte des petits contre les grands ou encore un film exutoire où l’on voit un méchant patron prendre une bonne leçon . Il n’en est rien. Le film est beaucoup plus intelligent que cela, et n’utilise le monde des affaires que comme un décor pour poser le véritable centre d’intérêt du film : le basculement de la vie d’un homme dans le cauchemar. Un homme qui va retrouver privé de toutes ses libertés, d’abord par la force puis ensuite par une société qui a un besoin maladif de tout fouiller, tout savoir et tout juger. Toutes les cloisons qu’il avait consciencieusement bâties entre sa vie publique, sa vie familiale vont voler en éclat. Pendant qu’il vit l’enfer à l’intérieur, tout son monde s’écroule à l’extérieur. Deux films se traitent alors en parallèle.
Coté pile, le thriller, le récit sombre de la captivité et des relations qui se créent inévitablement entre le prisonnier et ses geôliers, puis les remises de rançons sous haute tension. Lucas Belvaux se montre d’ailleurs aussi à l’aise pour développer des scènes choc dans des environnements confinés (la cellule) que dans des grands espaces (rocambolesque poursuite entre l’autoroute et le TGV)
Côté face, la description d’un monde politico-économique en émoi, entre bureaux de ministères et conseil d’administration, où chacun cherche surtout à préserver sa propre image et à sauver sa peau : les ministres se couvrent (« on va nous reparler des parachutes dorés), les administrateurs s’inquiètent pour leur commission (« il faut préserver l’image de l’entreprise ») et la famille se fissure devant les révélations sur la vie privée du père pas très modèle et du mari volage. Pour finir, le héros se retrouve obligé de se justifier sur sa vie, ses choix, ses activités, ce qu’il fait de son argent, comment il vit sa vie : scène frappante et glaçante, où Graff envoie paître sa famille pour réclamer son droit à la liberté. La réussite du film doit d’ailleurs beaucoup à Yvan Attal et Anne Consigny, que je n’ai jamais trouvé renversants dans d’autres contextes, et qui sont ici absolument incroyables de pudeur et de justesse. Lucas Belvaux confirme qu’il est bien un très grand directeur d’acteur, en plus de maîtriser parfaitement la caméra, le montage et le tempo. A l’arrivée, un film étonnant qui fait avec brio la synthèse entre un thriller très réussi, un film politique passionnant, et une comédie dramatique poignante. Une semaine après A l’origine, l’ambition et le talent d’un certain cinéma français fait plaisir à voir…