Les rigolos de Groland font toujours rire beaucoup de monde à la télé mais ils parviennent petit à petit à faire leur place dans le monde des auteurs reconnus du cinéma. Après le très applaudi Louise Michel, Mammuth se permet à la fois de rassembler un casting 5 étoiles (Depardieu, Adjani, Poelvorde, Mougladis, Moreau, ouf) et de s’offrir une sélection en compétition au festival de Berlin. On est pas encore à Cannes, mais on s’en rapproche. Pas mal pour deux zozos qui se sont longtemps cantonnés au gags subversifs et trash, et qui montrent film après film qu’ils ont au moins autant de chose à dire sur grand écran que sur le petit.
Un jeune retraité se rend compte qu’il n’a pas tous les justificatifs pour toucher sa retraite à taux plein et décide de prendre la route pour retrouver tous ces « papelards » sur sa vieille moto. Même si sa mémoire ne le trahit pas, les personnes et les entreprises ne sont plus toutes là, et les rencontres le long de la route peuvent être surprenantes.
Ce qui frappe en premier lieu, c’est cette image et cette manière de filmer assez rude, presque documentaire. Caméra à l’épaule, grain accentué de la pellicule, les réalisateurs refusent toute facilité ou tout classicisme pour plonger de manière directe le spectateur dans un monde rude et abrupt. On pense pêle-mêle à Rosetta des frères Dardenne, mais aussi au Wrestler d’Aronofsky (pensée accentuée par la carrure et la crinière blonde de Depardieu). Ce n’est pas un hasard, Mammuth se revendique d’un certain cinéma plus social qu’engagé. On peut appeler ça comme on veut : la France d’en bas, les petites gens, les ploucs, mais c’est bien à un road movie dans cet univers qu’on nous convie. Celui des forains, des caissières de supermarché, des hôtels Formule 1 minables et des routards sans le sou. La scène d’ouverture qui voit le départ du héros de son abattoir après 10 ans de bons et loyaux services est une parfaite mise dans le bain : c’est à la fois kitsch, triste et presque irréel. Le ton est donné avec les longs silences qui rythment le récit : la solitude, l’ennui, le manque de passion d’un homme qui a travaillé toute sa vie sans trop savoir pourquoi. Et quand le trauma originel fait son apparition, c’est au travers une vision fantomatique mais aussi tendre qu’apaisante. On magnifie cette misère personnelle et affective en la rendant belle et tragique, sans être misérabiliste pour autant : au fur et à mesure des rencontres, le film multiplie les scènes drôles, tendres et décalées. Et puis on ne renonce pas si facilement aux marques de fabrique, les réalisateurs ne nous épargneront pas la scène trash made in Groland (vraiment immonde pour le coup)
Cet ensemble un peu hétérogène en apparence trouve une grande cohérence au travers de la présence continue de Gérard Depardieu. Loin des gros films bouffons auxquels il nous avait habitué ces derniers temps, il se laisse filmer comme un être paumé, vulnérable et terriblement attendrissant. A l’image de Mickey Rourke l’an dernier, il prouve à tout le monde que c’est parfois dans le plus misérable des habits que surgissent les performances les plus fortes et les plus poignantes.